ELLE

Elle est née, elle n’a pas choisi. Elle écrit sur deux carnets, celui-ci et un autre pour raconter d’autres endroits à un autre endroit. Les portes coulissantes s’ouvrent sur les ombres des passagers. Elle regarde le faux carrelage qui brille comme un lac gelé, les valises glissent en patinage artistique. Elle a du mal à retrouver sa chaleur, fatigue d’une nuit blanche. Elle s’impressionne par toutes les phrases, les mots évoqués et oubliés, aussitôt pensés, aussitôt envolés dans le trésor insondable de sa mémoire perdue au temps présent. Elle apprend la vie au fur et à mesure qu’elle lui arrive. Elle voit les gens, il y a un colis suspect, la sécurité leur demande de se déplacer, de s’éloigner. Elle a 17 ans en Andalousie, innocence, naïveté des vagues échouées sur les pages blanches des carnets. Elle ne peut pas oublier qu’elle y est déjà allée. Elle a des ampoules aux pieds, de belles baskets très blanches, du mal à marcher, elle boite sur les chemins de son adolescence, hésitante, impatiente de ne plus sentir l’entre-deux, elle a mal, elle avance. Elle regarde l’hôtel aux palmiers pointés vers un ciel bleu aux lointains indéfinis. Elle touche la mer avec ses doigts, elle ne se trempe pas les pieds, un homme au bout de la jetée surveille ses lignes de pêche en offrant son visage au premier Soleil. Elle est essoufflée elle monte les marches de la Muraille de Chine, elle s’émerveille. Elle admire les algues roses, les coquillages bleutés, marbrés. Le repas est interminable, elle s’ennuie parfois. Le soleil se lève sur les oliviers dont les feuilles au dos argenté brillent sous la légère bise matinale, elle est à Rome, une étincelle d’Italie, l’essentiel fulgurant. Elle achète le livre Contes de l’Alhambra de Washington Irving, elle achète une musique, revient sur ses pas donne une pièce au joueur de guitare, elle donne toujours une pièce aux musiciens. Elle quitte ses maisons, ses paysages intérieurs, elle court dans son jardin, elle sait qu’il est le monde. Elle le ressent, le touche en l’écrivant. Dehors le vent, la nuit, elle pense à la vieille dame, dans son panier elle croyait de la salade, l’herbe ne laisse pas de repos, elle nourrit aussi les lapins. Elle verse le sucre sur la tarte aux prunes. Elle est dans l’allée avec sa sœur, les routes, les chemins laissent leurs souvenirs d’autres étés. Elle se rappelle leurs petites vestes aux motifs jacquard, les robes neuves pour Pâques et la Toussaint. Elle respire l’air frais, il fait beau, le vin est bon. Elle avance vers cette basilique élevée sur les lieux d’une apparition, décor réel d’une ville mexicaine, un peu perdue dans un désert de sable, au bord de marais où marchent des flamants roses et nagent des canards. Elle est ailleurs bizarrement. Elle achète un cierge, elle donne de la lumière au monde pour la paix elle regarde les objets de dévotion, les gens rient, chantent et prient, la Vierge Marie fait des miracles. Elle prie le monde des poètes, elle espère que les juges du tribunal administratif qui écrivent des poésies cachées dans leurs dossiers condamneront les voleurs d’horizon. Elle se perd en contemplation devant toutes les statues, les blasons à l’air triste du temps passé. Elle respire l’odeur, le parfum des orangers, des oranges amères, des citronniers, les cyprès ne craignent pas le feu, ce matin le Soleil est modéré. Elle dessine l’opéra de Sydney où elle s’est endormie au son de la Bohème de Puccini. Elle sourit. Des pigeons se posent sur l’Arc de Triomphe à Paris, elle s’achète un marque-page sur les quais de seine et un roman de Nicole Avril, Dora Maar. Elle s’étonne ; hier le nouveau musée Picasso et aujourd’hui chez un bouquiniste rencontre avec Dora Maar, folle d’amour pour Pablo Picasso, elle ne se remettra jamais de leur séparation.






											
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